A la suite de la suspension de ce cours, SUD-Education, pour défendre les libertés académiques et pédagogiques et la qualification des enseignant-e-s, adresse une lettre ouverte au DFJC. Cette lettre a été envoyée à la presse.
1948 : connaître et enseigner la Nakba palestinienne
Madame la Conseillère d’Etat,
C’est avec stupeur que nous avons appris la semaine passée par la presse et par nos collègues de la Haute Ecole Pédagogique du canton de Vaud (HEP), ainsi que par des enseignant-e-s inscrit-e-s, qu’une formation continue validée sur l’enseignement de la Nakba avait été « suspendue » suite à une intervention de votre part.
Cette décision a suscité des réactions critiques et d’incompréhension de la part de très nombreux-ses enseignants-e-s, en sciences humaines, mais aussi d’autres domaines.
La décision de suspendre cette formation continue est malheureuse à plusieurs titres et ne contribue en aucun cas à la sérénité du climat dans le monde de la formation.
En suspendant une formation qui avait été validée par les instances épistémiques de la HEP (l’UER SHS), vous touchez un point essentiel : la liberté académique et l’autonomie intellectuelle des institutions de formation. Plus encore, votre intervention délégitime non seulement la formation en sciences humaines à la HEP, mais également l’ensemble de cette institution, qui ne serait pas à la hauteur de certains contenus et enjeux. On imagine mal que vous preniez une telle décision concernant l’Université… Nous voyons cette intervention comme un clair déni de confiance.
En suspendant une formation à laquelle de nombreux-euses enseignant-e-s se sont
inscrit-e-s, vous leur signifiez clairement qu’ils-elles n’ont ni les qualifications, ni la maturité citoyenne ou les compétences critiques pour se faire une opinion raisonnée du thème traité. Votre intervention est vécue comme une forme de paternalisme intellectuel qui fragilise la position des enseignant-e-s en sciences humaines. Pourtant, ces mêmes enseignant-e-s, sur le terrain, sont confronté-e-s tous les jours à des questions socialement vives, qu’elles soient d’ordre religieux, économique ou environnemental. Vous pouvez être certaine qu’ils-elles y répondent avec toute la professionnalité et la hauteur intellectuelle requises. Votre intervention contribue à consolider l’idée que les enseignant-e-s n’ont à s’inscrire qu’à des formations continues qui traitent de gestion de classe puisque le seul champ d’action qu’il pourrait leur rester est justement celui-ci : être des gestionnaires d’élèves et non plus des formateurs-trices à l’esprit critique. Le PER en sciences humaines insiste pourtant fortement sur les notions d’autonomie même et d’esprit critique, qu’il s’agit de développer chez les élèves. Or, en déniant aux enseignant-e-s cette autonomie, c’est le cœur du PER en SHS que vous touchez.
En suspendant une formation de crainte que certain-e-s intervenant-e-s soient
« militant-e-s » alors qu’il s’agit d’intellectuel-le-s engagé-e-s, vous contribuez à délégitimer toute posture critique dans le champ scientifique et de la formation. La vision que cette décision promeut serait celle d’un discours neutre où, sur un thème donné, on devrait entendre systématiquement le pour et le contre d’une controverse. Plus loin encore, faut-il comprendre que tous les points de vue se valent et que tous ont droit à la parole, indépendamment de leur qualité scientifique ? Les intellectuel-le-s et les enseignant-e-s, même engagé-e-s, travaillent avec rigueur, sur une base intellectuelle, et ils-elles se tiennent à une éthique scientifique et professionnelle, dans un clair souci démocratique.
Enfin, en suspendant une formation, quel que soit son contenu, vous dépassez vos prérogatives. Les institutions de formation ont leur système de contrôle et vous devez leur faire confiance. Les enseignant-e-s sont capables de discernement et vous devez leur faire confiance. De notre point de vue, vous avez clairement dépassé une ligne de démarcation, et ceci indépendamment du thème traité.
Aussi, nous souhaitons avoir des explications sur cette décision aussi rare que grave et vous communiquer notre plus ferme demande qu’une telle situation ne se reproduise pas.
Veuillez recevoir, Madame la Conseillère d’Etat, nos salutations distinguées.
SUD-Education
Lausanne, le 19 octobre 2018