Celles et ceux qui voteront oui seront déçu-e-s
Préambule : avant d’en venir à l’essentiel du propos de ce texte.
Il y a une chose qui n’a pas suffisamment été dite sur la LEO. Le système des niveaux et des options conduira à la nécessité d’aligner toutes les heures de français, mathématiques, allemand et option dans les toutes les classes d’un établissement, soit les deux tiers de la grille horaire. Cela impliquera très probablement des horaires à trous pour les élèves, sans que les structures d’accueil (salles d’études surveillées, réfectoires, bibliothèques-médiathèques) ne suivent. Cela signifie aussi les horaires à très gros trous pour les enseignant-e-s. Donc davantage de temps contraint, de charge de travail, d’organisation du travail rendue plus difficile, de pressions notamment sur les temps partiels. Pas grave ? Certes, pour un 100% (quoique, l’émiettement du temps de préparation est contre-productif à notre sens). Mais pour les temps partiels, c’est la généralisation des horaires à 5 jours pour un 50%. Il faut le savoir. Et dans un métier où le temps partiel (voulu mais aussi souvent contraint) est roi, cela va poser des problèmes. La cheffe de département ne s’est peut-être pas rendue compte que son projet interdisait le temps partiel au secondaire ? Une solution, la baisse généralisée du temps de travail. Mais zut, on a oublié le statut des enseignant-e-s.
Cela dit...
Non à la l’initiative Ecole 2010
Des notes dès la 1ère primaire ? La belle affaire. Tout le monde traduit depuis longtemps les "appréciations" en notes. La moyenne générale ? Les élèves travailleront-ils mieux ? Nous savons toutes et tous que non.
Assez d’insultes !
Les méthodes "structurées et explicites". Nous en avons assez de nous faire traiter par quelques collègues, fussent-elles/ils nos membres, de profs qui pratiqueraient (sous la contrainte ou non) un enseignement non-structuré et implicite. C’est faux. Nous connaissons notre métier, nous nous accommodons du matériel officiel (en le complétant ou en l’améliorant lorsque nécessaire), et nous dispensons un enseignement structuré et explicite au bons sens du terme (qui est réellement exprimé ; qui est suffisamment clair et précis dans l’énoncé (déf. du Petit Robert)). Nous adaptons notre discours et nos pratiques aux populations d’élèves que nous avons dans nos classes ; parce que si nous ne le faisions pas, ce serait un crime. Nous n’allons pas expliquer aux médecins (au hasard M. Haury), aux conseillers-ères en communication (au hasard M. Comina), aux journalistes-parents-politicien-ne-s (au hasard M. Derder) comment faire leur métier. Qu’ils cessent donc de nous donner des leçons et de nous insulter sans fin en disant que le niveau baisse, que les élèves sont insupportables, qu’ils n’apprennent plus rien, etc. ! Ça suffit ! Si nous disions des médecins, des avocats ou des journalistes le quart de la moitié de qu’ils disent sur l’école, elles/ils nous auraient collé depuis longtemps des procès pour diffamation ! Quant aux conseils que certain-e-s nous prodiguent, qu’ils continuent d’encenser la contrainte, et qu’ils nous laissent notre liberté et notre autonomie. Et plus d’excuses du style : "c’est l’école qui dysfonctionne, les enseignant-e-s sont des victimes du système…" L’école, c’est nous qui devons la faire, plus qu’hier certes, mais c’est nous d’abord. Prétendre que l’école actuelle est nulle, cela signifie que les enseignant-e-s le sont aussi. C’est insupportable, injuste et faux !
Les voies et leurs sections ?
La spécialisation précoce des cursus par le jeu des sections et des voies (encore plus que la sélection, qui reste d’ailleurs présente dans la LEO) n’est pas conforme au Plan d’études romand, qui prévoit les mêmes branches et les mêmes savoirs pour tous les élèves - ce qui est, soit dit en passant un immense progrès. Il est vrai qu’il subsiste dans le PER des niveaux, mais on n’y trouve pas des branches différentes pour les élèves. L’initiative n’est donc pas conforme au droit supérieur. Elle est inapplicable. Les votant-e-s qui penseraient avoir des élèves de la future VSP (VSO) passant la moitié de leur semaine en ateliers, et l’autre à faire du français et des mathématiques seulement se leurrent.
L’initiative contre EVM ? Laissez-nous rire !
L’orientation en 6ème année ne change pas. Les initiant-e-s prétendent qu’elles/ils renforcent le poids des notes dans celle-ci. Mais depuis la jurisprudence du Tribunal fédéral il y a une dizaine d’années, l’orientation est essentiellement une affaire de notes. Les autres critères ne viennent qu’en second. Or l’initiative ne les supprime nullement. Et surtout, ce qu’elle ne supprime pas, c’est le long calvaire d’octobre à avril en 6ème, qui pourrit la vie des élèves, des parents et des enseignant-e-s. Ce dernier legs d’EVM, que les initiant-e-s vouent pourtant aux gémonies, elles/ils n’en ont même pas demandé l’abrogation…
Qui pour enseigner dans les "classes régionales d’encadrement" ?
L’idée des classes pour les perturbateurs-trices se comprend du point de vue d’enseignant-e-s fatigué-e-s de se trouver seul-e-s face à des élèves qui ne respectent pas les règles. Mais elles/ils se trompent de cible. Elles/ils s’en prennent à des élèves, qui souvent ne sont que les victimes de leur condition et de leur environnement. Les mettre dans une classe plutôt que dans une autre ne changera rien, puisque le problème s’exprime à l’école, alors que son origine est à l’extérieur. Les élèves en question perturberont donc encore. Le seul effet de ces classes (outre qu’elles coûtent une fortune et que nous préférerions que l’argent aille ailleurs : effectifs globaux inférieurs, rénovation des bâtiments, constructions, nouvelles technologies, bibliothèques-médiathèques, encadrement socio-pédagogique renforcé, aide personnalisée ou pour de petits groupes, etc.) sera de concentrer les énergies négatives qui, par le savant jeu de la démultiplication des forces, composeront un cocktail explosif qu’aucun-e enseignant-e ne voudra affronter. Ces classes seraient aux mains d’enseignant-e-s "expérimenté-e-s". Lesquel-le-s ? Certain-e-s de nos collègues de formation universitaire se verraient probablement bien y envoyer leurs confrères breveté-e-s (qui sont bientôt tou-te-s à la retraite et qui ne sont d’ailleurs pas forcément plus expérimenté-e-s) ou des enseignant-e-s spécialisé-e-s. Mais le texte parle bien d’expérience, pas de formation. Le directeur général pourrait bien décider de n’affecter à ces classes d’encadrement que les plus "expérimenté-e-s", celles et ceux qui ont entre 50 et 60 ans ? En plus, cette disposition nous semble en infraction avec la Convention internationale des droits de l’enfant.
Le miroir aux alouettes
L’initiative est un tissu d’illusions. C’est compréhensible. Ses rédacteurs-trices ont beau être des enseignant-e-s, ils ne connaissent l’école que par le petit bout de leur lorgnette. Elles/ils ignorent son histoire longue, son cadre politique (ah, l’apolitisme !) et institutionnel, ses courants (ils n’en connaissent qu’un et s’y raccrochent comme le naufragé au radeau). Leur texte est un miroir aux alouettes. Il configure une illusion aussi grosse de désarrois que l’ont été les réformes successives de l’officialisme.
Pourquoi son succès alors ? Une fois défait le mythe (notes, moyennes, classes d’encadrement, sections, etc.), que reste-t-il ? Le retour à l’ordre ancien, consigne de tous les partis de la réaction. Cet ordre n’existe pas et n’a jamais existé. Mirage, fantasme, absence de mémoire, liquidation d’une exigence impérieuse d’histoire et de savoirs... autant disciplinaires que pédagogiques.
Et si elle passait ?
Le financement nécessaire ne suivra pas. Les partisans (UDC, Centre patronal, Libéraux) et les opposants (les autres) sur la scène politique s’empresseront de le refuser. L’absence de conformité au droit supérieur exigera qu’elle soit réécrite presque intégralement.
Cette affaire est politique. Ce n’est pas "les enseignant-e-s de la base" et de parents troublés contre les élites politiciennes. C’est le front de celles et ceux qui revendiquent le grand bond en arrière, une nostalgie des temps anciens. Sa conception de l’enseignement relève de l’empire du disciplinaire et non du savoir comme construction d’un parcours intellectuel pour chaque élève, libération de sa condition et avancée commune vers le progrès social.
Une bonne partie des initiant-e-s n’est pas intéressée au progrès social. L’ordre social et politique existant leur convient. Pour nous, même modestement, l’école et la société changent d’un même élan, vers la démocratie politique, sociale et culturelle. L’école humaniste et généreuse est portée par ce mouvement émancipateur. Celles et ceux qui ne prétendent pas changer la société ne peuvent pas prétendre changer l’école. En ce sens l’initiative n’est guère que la déclinaison du renforcement de la politique conservatrice appliquée à l’école.
Et la LEO ? Non, aussi !
La LEO, de son côté, ne répond pas aux grands défis que porte la question scolaire. Elle n’est pas un projet socio-pédagogique significatif mais un compromis interne à la classe politique. Elle n’est que le point de rencontre entre l’application du droit supérieur (HarmoS) et l’état du rapport de forces entre blocs parlementaires, lobbies et groupes de pression.
Nous avons suffisamment dénoncé les insuffisances du projet générées par le compromis. Mais cela ne s’arrête pas là. Au fond, la LEO ne change pas l’ordre existant. Nous taxer, nous, de réactionnaires et de sectaires parce que nous refusons ce changement-là fait sourire.
A demander la rupture (l’école à 18 ans), on finit réactionnaire. Vieille stratégie sociale-démocrate pour faire passer toute idée considérée trop progressiste comme excessive.
C’est mou !
Personne ne s’y sera trompé. La LEO est molle, le discours qui la défend est mou. Nous sourions à voir la SPV et le SSP prendre la précaution de dire dans leurs papiers que la LEO n’est pour rien dans tout ce qui fâche (la grille horaire et la diminution des arts à l’école, les enfants à besoins particuliers dans les classes sans les moyens pour les prendre en charge, etc.), que la LEO "ce n’est pas assez, mais c’est déjà mieux que rien", et qu’ils seront vigilants à ce que les moyens suivent (contrairement à ce qui s’était passé avec EVM).
De surcroît, le retour à l’ordre est aussi présent dans la LEO. Plus de devoirs, plus de sanctions. Mais pas plus d’assistant-e-s sociaux-les ou d’éducateurs-trices pour venir en aide aux familles en détresse. Pas d’augmentation des salaires et de baisse du temps de travail pour permettre aux parents d’être avec leurs enfants et de les accompagner. Pas de structures d’accueil en plus. Qui sont les progressistes ?
La sélection, là où l’initiative et la loi font fausse route !
Le nombre de filières est au centre des débats, mais ce n’en est justement pas le centre. A trois filières ou plus, à deux, voire même à une, cela ne changera rien.
Actuellement, la division n’est pas entre les VSB et VSG d’une part et les VSO de l’autre. Elle est entre les VSB et les VSG qui ont plus de 14 ou 15 points (en français, mathématiques et une langue étrangère) et les autres (VSG en-dessous de 14 points et VSO). Les premiers-ères ont accès aux voies maturités (générale ou professionnelle d’emblée) ou de culture générale. Les autres non (l’enchaînement VSO-RACI-RACII-maturité existe, mais il est rare…).
La LEO veut supprimer la VSO. A combien sera le seuil pour entrer en maturité professionnelle ? En école de culture générale ? Les élèves de la VSG trouveront-elles/ils plus facilement des apprentissages qu’aujourd’hui ? Comment ? Et quels apprentissages ?
L’initiative veut revaloriser la VSO. En baissant les effectifs ? Non. En étendant le champ du savoir pour étendre le champ de voies de formation ultérieure ? Non. En faisant l’inverse. En le limitant à des savoirs utiles aux patrons. Belle revalorisation !
L’âge d’entrée en apprentissage est de plus de 18 ans. Cela signifie donc qu’une proportion croissante de jeunes quittent l’école pour des structures de transition, ou pour un espace limité par le salon d’une part et la rue de l’autre, dans l’attente qu’on veuille d’elles et eux dans des apprentissages de plus en plus limités, de plus en plus pauvres en contenu, en ouverture et en réorientation ultérieure.
L’alternative
La critique, toujours la critique, mais vous n’êtes pas capables de construire une alternative ?
Voyons cela :
Le savoir enseigné doit porter sur la compréhension du monde et l’action pour le changer et l’améliorer. Il faut redéfinir les contenus dans cet objectif, celui des Lumières dont on s’éloigne trop depuis longtemps.
Les stratégies pédagogiques et didactiques aux mains des enseignant-e-s, les décisions stratégiques à celles et ceux qui travaillent dans les écoles.
Des assistant-e-s sociaux et des éducateurs-trices dans les écoles et en lien direct avec les familles et les enseignant-e-s.
Des structures d’accueil, pas seulement pour les repas, mais aussi pour le travail en autonomie partielle des élèves (devoirs, recherches) et des activités d’extérieur : visites, sport. Il faut une bibliothèque-médiathèque par établissement. Cela nécessite une logique de site unique pour les écoles (des plus petits aux plus grands) avec donc un plan d’aménagement et de financement de très grande ampleur et qui doit s’étendre sur plusieurs années, voire plusieurs décennies.
Des espaces de libertés pour les élèves, délégué-e-s, conseils, etc.
Des aides directes et immédiates aux élèves en difficultés, ce qui signifie que les ressources doivent être attribuées aux écoles, et même directement aux équipes enseignantes, de façon à ce qu’elles puissent être immédiatement déployées, et non pas attendre des semaines, voire des mois de circuits bureaucratiques destinés à limiter les moyens attribués.
L’école jusqu’à 18 ans, ce qui signifie notamment :
o développer les prestations d’aide, d’appui et de soutien social et médical dans les gymnases et l’enseignement professionnel pour lutter contre l’abandon de la formation ;
o développer les écoles de métier, notamment les secteurs d’activités où les besoins sociaux sont forts (éducation, santé, social, énergie) ;
o élargir le champ des savoirs dans les filières professionnelles pour permettre aux jeunes perfectionnement et réorientation autonome (passer du "moins de culture générale possible" aujourd’hui "au plus et mieux de culture générale" demain ;
o généraliser l’accès à la maturité professionnelle ;
o passer au contrôle public de la formation professionnelle.
Mais ces transformations sont insuffisantes, elles doivent faire partie d’améliorations significatives des droits et des prestations de service public dans le monde du travail, de l’action sociale ou de la santé.
Les fronts ne sont pas entre celles et ceux qui voudraient revenir en arrière (les initiant-e-s, auxquels nous sommes associé-e-s sous prétexte du statu quo), et les compromis mollassons du genre de la LEO. Le front est, comme toujours, entre le progrès et la réaction. Le progrès, c’est plus d’école, plus de savoir, plus longtemps. La réaction, c’est moins d’école, une entrée encore plus rapide sur le marché du travail qu’aujourd’hui (ce à quoi au fond aspire l’initiative). Entre les deux, nous disons qu’il n’y a pas de compromis possible.